Retour au 26 novembre 2005: un événement neigeux majeur... mais pas pour tout le monde
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- Publication : vendredi 22 novembre 2024 06:19
- Écrit par : Robert Vilmos
Préambule
Dans le cadre de notre rubrique "Climats d'hier et d'aujourd'hui", nous allons réanalyser en détail des épisodes météorologiques récents et remarquables de ces dernières années, en essayant d'expliquer en détail les causes et conséquences de ces épisodes, à raison d'une analyse par mois.
Cinquième volet de la série : l'événement neigeux majeur du 26 novembre 2005.
Introduction
Le 26 novembre 2005, des chutes de neige qui, localement, prennent une ampleur exceptionnelle s’abattent sur la Belgique. Mais à l’ouest d’une ligne allant grosso modo de Tournai à Anvers, il fait trop doux, les précipitations tombent essentiellement sous forme de pluie et, mis à part quelques enneigements très temporaires, toute cette zone ne verra rien de l’offensive hivernale.
Des paysages dignes des Hautes Fagnes dus à un véritable blizzard durant la nuit du 25 au 26 novembre :
des quantités importantes de neige sont tombées, comme ici à Waterloo, où 20 cm ont été mesurés au matin...
Photo : Xavier Lizin
L’année 2005 par rapport au réchauffement climatique.
Parmi nos nouveaux articles, consacrés aux phénomènes météorologiques récents, nous revenons cette fois un peu plus en arrière que d’habitude. Mais pas tant que ça. En 2005, le réchauffement climatique est déjà une réalité bien connue. En outre, le mois d’octobre qui vient de se terminer a été l’un des plus chauds jamais observés. Notamment la fin du mois d’octobre est marquée par un véritable retour de l’été. Pendant quatre jours consécutifs, les températures se situent, l’après-midi, entre 20 et 23°C presque partout en Basse et en Moyenne Belgique, ainsi que dans les vallées de Haute Belgique. Les 29 et 30 octobre, les températures atteignent même 23,7°C à Liège-Monsin le 29 et 24,0°C à Lanaken le 30. À Uccle, ces deux jours, on note respectivement 22,0°C et 22,6°C.
À Bruxelles, les gens reviennent en masse au Bois de la Cambre pour prendre un dernier bain de soleil.
Bois de la Cambre le 30 octobre 2005 à Bruxelles.
Photo : Robert Vilmos
Le mois de novembre qui a suivi a été plus perturbé, mais toujours très doux jusqu’au 18. Après, le froid a commencé à s’installer.
Alors, quelle influence a le réchauffement climatique, en 2005, sur la période chaude et la période plus froide que nous venons d’évoquer. Il faut se dire que l’année 2005 est l’année médiane… de la série climatologique 1991-2020, celle que nous utilisons actuellement. Or cette série est de 1,2°C plus chaude que la série 1961-1990 qui l’a précédée. Cette série présentait encore une (relative) stabilité climatique à Uccle, alors que le série 1991-2020 est une courbe montante, ce qui signifie que les 1,2°C en question auront été atteints – à peu de choses près – au niveau médian de la courbe, c’est-à-dire justement au cours des années 2005-2006.
Si nous extrapolons pour les années 2024-2025, nous pouvons tranquillement encore ajouter quelque 0,8°C à ce réchauffement. Ou, autrement exprimé, il faisait environ 0,8°C plus froid en 2005 par rapport à aujourd’hui, en Belgique tout au moins.
Regardons à présent l’évolution du côté du pôle nord, la région d’origine des courants polaires directs qui nous valent ces conditions froides et souvent neigeuses.
Source : NASA
Ci-dessus, nous voyons la calotte polaire telle qu’elle se présentait en 1984 au mois de novembre. Les zones très blanches sont les glaces épaisses pluriannuelles. Les zones en bleu clair sont des glaces plus jeunes et plus minces, parfois discontinues, mais qui peuvent encore être considérées comme faisant partie de la banquise.
Ici, le réchauffement climatique actuellement en cours n’a pas encore produit ses effets, c’est la situation de base.
Ci-après, nous pouvons voir comment tout cela a évolué en novembre 2005.
Source : NASA
Nous constatons que ce sont surtout les glaces épaisses qui ont fortement diminué. L’extension totale de la banquise, glaces minces comprises, n’a pas encore trop souffert. Passons maintenant à l’année catastrophique 2012.
Source : NASA
Il ne reste plus grand-chose des glaces épaisses pluriannuelles. La banquise plus jeune est encore là, mais se fragilise de plus en plus, ce qui a des effets non négligeables sur l’albédo. Il ne fait plus aussi froid qu’avant au pôle, la température y augmente même beaucoup plus vite qu’aux autres endroits du globe. La machine du froid s’enraye, mais n’est pas encore tout à fait à l’arrêt. Des courants froids restent possibles sur nos régions, mais la neige, surtout au début de l’hiver, devient plus rare.
Dans les années qui ont suivi 2012, la calotte polaire s’est quelque peu rétablie, mais pas beaucoup. On peut presque dire que l’année 2012 est représentative pour toutes nos années récentes, jusqu’au jour d’aujourd’hui.
Un mot enfin sur la température de l’eau de la Mer du Nord.
Source : Kachelmann Wetter
Avec 11 à 12°C, la température de l’eau de la Mer du Nord, en cette fin novembre 2005, est légèrement supérieure aux normes saisonnières de l’époque. À la station marine Euro Platform, située au large des côtes belges et hollandaise, la température de l’eau est à ce moment de 12,1°C pour une moyenne, calculée sur la période 1999-2013, de 11,4°C.
Du côté de la Manche, les températures de l’eau sont bien plus élevées, mais ça, ça n’a rien d’anormal en novembre.
Nous avons donc déjà pas mal d’éléments : un pôle qui rétrécit et des terres et mers qui se réchauffent de notre côté, ce qui rend les offensives hivernales de plus en plus difficiles à se réaliser. Pourtant il y en a encore, même bien avant l’hiver ou bien après, comme par exemple le 6 avril 2021.
Nous allons voir que tout n’est pas si simple.
Les jours qui précèdent l’offensive neigeuse
Comme nous l’avons vu, la douceur automnale cesse le 18 novembre. Le 19 au matin, on retrouve le gel même en plaine. Et en journée, on ne dépasse parfois pas les 2°C au centre-sud et au centre-est du pays. Le lendemain, la situation n’est pas très différente. Sans qu’on puisse parler de vague de froid, des conditions fort froides pour un mois de novembre vont s’installer jusqu’à la fin du mois.
23 novembre 2005
La journée est on ne peut plus anticyclonique. La nuit du 22 au 23, la pression frôle même les 1040 hPa à la côte, avec 1039,8 hPa à Ostende à 22h. Le matin, on observe encore 1038 hPa sur le nord et le centre du pays, et 1037 hPa sur le sud. Le soir, la pression baisse quelque peu, mais reste élevée, avec 1033 à 1034 hPa.
Cet anticyclone est bien soutenu par un anticyclone en altitude, qui forme un blocage high-over-low avec une dépression sur le nord-ouest de l’Italie, qu’on retrouve en surface un millier de kilomètres plus au sud-est, sur la Calabre.
Source : Meteociel
Source : KNMI
L’air dans les basses couches est assez froid, mais le temps est très calme, avec du brouillard givrant le matin, et des stratus qui mettent un certain temps à se dissiper en plaine. En Haute Belgique, il fait beau, et plus tard aussi au centre du pays, avec des cirrus et l’un ou l’autre altocumulus. Sur les reliefs, quelques cumulus discrets parviennent à se former. Les températures maximales, souvent, ne dépassent pas 2 à 4°C, voire moins sur les hauteurs (0,9°C à Mont-Rigi).
L’ouest et le nord du pays, sous l’impulsion d’une faible perturbation qui a su se faufiler au sein des hautes pressions, connaît un autre type de temps, avec bruine et ciel couvert, mais des températures plus douces (5 à 6°C).
Une petite ambiance hivernale s’est certes installée depuis plusieurs jours, mais rien n’annonce encore le vent, les orages et les fortes chutes de neige qui séviront trois jours plus tard.
Arrêtons-nous à présent sur ce qui est en train de se passer loin au nord de nos régions.
Source : KNMI
Sur cette carte de la nuit du 23 au 24 novembre, nous distinguons bien le front polaire, ondulant avec ses fronts chauds et ses fronts froids entre 55°N et 60°N sur l’Océan, avant de remonter plus vers le nord sur la Scandinavie. Et au-dessus sur la carte, bien dans l’air froid, nous voyons un petit « L » : une petite dépression située entre l’Islande et la Norvège avec une ligne post-frontale. Il s’agit d’un « polar low » qui s’est formé il y a peu à la lisière de la banquise arctique et qui, on le verra, aura un développement explosif.
24 novembre 2005
L’anticyclone en altitude se retire de façon spectaculaire vers l’Océan, mettant rapidement en place une circulation de nord-ouest qui pousse le front polaire vers nos régions. Ce front polaire, se présentant désormais comme un très vaste front froid, atteindra la Belgique en fin d’après-midi et en soirée. Pendant ce temps, un creux prenant de plus en plus d’amplitude juste au large de la Scandinavie permet au polar low de descendre tout aussi rapidement vers le sud.
Le matin, le noyau du polar low aborde la Norvège au niveau de Trondheim pour se retrouver le soir sur le sud de la Norvège, entre Bergen et Oslo. À ce moment – et c’est ce qui complique la situation –, ce polar low va se dédoubler, avec la dépression orientale qui capte en quelque sorte une ondulation du front polaire, qui a pris entre-temps une orientation nord-sud, et se muer en dépression ordinaire, mais très virulente. À l’instar des cyclones extra-tropicalisés, on pourrait presque dire que notre polar low est en train de « extra-polarisé ». La dépression occidentale, quant à elle, se comble et disparaît très vite des cartes météorologiques.
Source : KNMI
Le polar low, pas encore trop méchant, vient d’aborder la côte norvégienne.
Source : KNMI
Ici nous voyons le polar low qui s’est dédoublé (les deux « L » sur la carte) en plongeant vers le sud. Nous voyons aussi comment le noyau oriental capte littéralement le front polaire, orienté nord-sud. Dans les heures qui suivent, ce front polaire se mettra à onduler et à former une perturbation frontale complète. Mais ça, ce sera pour le 25 novembre. Revenons d’abord à notre journée du 24.
En surface, on est avant tout surpris par la chute rapide de la pression atmosphérique. Le matin à 7h, celle-ci se situait encore autour des 1025 hPa, le soir à 19h, on dépasse à peine encore les 1000 hPa, et on se situe même en dessous dans le nord du pays.
Il n’est donc pas étonnant que les conditions météorologiques passent rapidement d’un temps anticyclonique à un temps dépressionnaire dans le courant de la journée.
Le matin, il fait couvert et brumeux, avec des stratus et stratocumulus, et parfois même du brouillard, pendant que la Haute Belgique profite encore d’un peu de soleil. Puis un nimbostratus pluvieux traverse tout le pays. Juste avant l’arrivée du front froid, une portion d’air doux fait temporairement monter le thermomètre jusqu’à 10°C au littoral. Cette douceur ne se propage toutefois pas très loin vers l’intérieur des terres. Sur les plaines flamandes, on observe encore 6 à 7°C, au centre du pays, plus que 4°C. Après le passage du front, la pluie se transforme en neige dès 200 mètres d’altitude.
L’augmentation du vent est une autre caractéristique de la journée. Le matin, la plus forte « rafale » peine souvent à dépasser les 10 km/h, le soir on arrive à 50/60 km/h dans presque tout le pays. Au littoral, on atteint même à 86 km/h au port d’Ostende.
25 novembre 2005
La pression atmosphérique poursuit sa baisse. Le matin à 7h, on observe 986 hPa au nord du pays et 994 hPa au sud. Le soir, on n’est plus qu’à 980 hPa dans le nord. Si l’on regarde Brasschaat, on est passé de 1039,5 hPa le 22 novembre à 22h à 981,8 hPa le 25 novembre à 22h, ce qui constitue une baisse très remarquable. Mais cela n’a rien d’étonnant : notre ex-polar low est arrivé sur le nord des Pays-Bas.
Voyons ci-dessous l’évolution de la situation atmosphérique de la nuit dernière et de la journée du 25 novembre 2005.
Source : KNMI
Nous voyons la perturbation frontale se former autour du noyau en deuxième partie de nuit. Le sommet de cette perturbation s’occlut très vite et s’enroule tout aussi vite autour de l’ex-polar low. À l’ouest de cette dépression, une très importante descente d’air polaire se met en place sur l’Océan. Elle ne nous concerne pas encore.
Sur la carte ci-après, nous constatons désormais une importante situation de blocage, qui est à la base de la descente d’air polaire en question. À cela s’ajoute encore un élément thermique, qui renforce l’anticyclone de surface dans sa partie nord, et l’étend jusqu’au Groenland et l’Islande, ce qui rend l’air polaire encore plus direct.
Source : Meteociel
Chez nous pendant ce temps, il ne se passe pas encore tellement grand-chose. Cela sent certes la neige, mais il n’en tombe pas encore, sauf un peu sur la Haute Belgique. Mais les températures en altitude sont déjà fort basses. Au-dessus de Saint-Hubert, la température au niveau 850 hPa est de –8°C, alors que ce niveau n’atteint plus que 1226m. Mais le ciel se contente d’être très nuageux à couvert à peu près partout, avec un mix de stratocumulus et de nuages convectifs. Mais les averses sont rares et peu abondantes, sauf sur l’extrême nord du pays (averses de pluie, de grésil et de neige). Des éclaircies, parfois larges, se développent à partir de la France, avec des stratocumulus qui se déchirent, et des cumulus, altocumulus et cirrus. Ce temps plus lumineux se limite cependant à la partie sud-ouest de la Belgique.
Aux Pays-Bas par contre, c’est déjà la folie ! De très fortes précipitations tombent sur une large bande centrale du territoire néerlandais, avec des totaux dépassant localement les 60 mm. Dans la partie orientale de cette large bande, les précipitations tombent sous forme de neige et on parle localement d’une couche de 40 cm du côté de Twente. En outre, une très forte tempête s’abat sur les côtes de l’ouest, avec des rafales de 173 km/h à Hoek Van Holland (non loin de Rotterdam), 140 km/h à Ijmuiden (non loin d’Amsterdam) et entre 100 et 110 km/h en plusieurs endroits de Zélande.
Le responsable : bien sûr l’ex-polar low qui vient d’arriver sur les Pays-Bas. La partie occluse de la perturbation s’enroule désormais entièrement autour de la dépression, comme on peut le voir sur l’image ci-après.
En plus, cet ex- polar law se sent très bien chez nos voisins du nord et ne bouge presque plus. C’est cela sui explique les précipitations énormes, de pluie sur l’ouest de neige sur l’est..
L’offensive neigeuse du 26 novembre 2005 en Belgique
Revenons à notre ex-polar law et, tout d’abord à la température de la Mer du Nord. Comme dit précédemment, les eaux de la Mer du Nord sont à 11-12°C (plutôt 11°C vers le nord, plutôt 12°C vers le sud).
La configuration générale de l’atmosphère fait désormais débouler de l’air polaire direct de plus en plus sur les eaux encore tièdes de la Mer du Nord, ce qui crée des contrastes thermiques énormes. Un sondage atmosphérique, réalisé depuis la plateforme de forage Ekofisk située au beau milieu de la Mer du Nord, nous montre que l’air présent au-dessus de la Mer du Nord est à 5°C, sous un vent fort de nord.
L’expérience nous a appris qu’en pleine mer, c’est-à-dire loin de toute côte, la différence de température entre l’eau et l’air ne dépasse généralement pas 5 à 6°C. Ici, nous l’avons, cette différence maximale, ce qui crée un forçage thermique conséquent vu que l’air en altitude est très froid. Et le sondage en question le confirme : il fait –5°C au niveau 850 hPa, situé à 1200 mètres d’altitude seulement, et –15°C au niveau 700 hPa, à 2700 mètres. Au regard de l’humidité ambiante sur la Mer du Nord, cette instabilité est vraiment très forte et la situation devient explosive. Il n’est donc pas étonnant que la traîne à l’ouest et au nord de l’ex-polar low soit particulièrement active.
En Belgique, nous avons d’une part l’air instable en question qui finit par arriver à la côte belge, et d’autre part la partie sud de l’occlusion enroulée autour de l’ex-polar low qui aborde notre pays dès le soir du 25 novembre et le traverse durant la nuit. Des vents forts de sud-ouest l’accompagnent. En fait, il s’agit ici d’air à l’origine froid aussi, mais qui nous revient par le sud-ouest. L’ouest du pays, directement confronté à l’air polaire direct, est paradoxalement moins froid (basses couches trop réchauffées par les eaux tièdes de la mer). Cela aura toute son importance dans la répartition entre pluie et neige sur notre pays.
Source : KNMI
C’est vers 21 heures que les premiers phénomènes violents commencent à se manifester sur notre territoire. Des orages éclatent au littoral, avec du vent fort. Au port d’Ostende, on observe des rafales de 101 km/h et à l’aéroport de Middelkerke, l’anémomètre monte à 86 km/h. Mais avec des températures proches de 4°C, les précipitations tombent sous forme de pluie. À Anvers par contre, il neige déjà, avec 0°C et un sol qui blanchit de plus en plus. Sur le restant du pays, il pleuvine ou neigeotte encore ; les « hivernophiles » doivent s’armer de patience.
En cours de nuit, les rafales et les fortes précipitations atteignent tout le pays. Sur l’ouest il continue de pleuvoir (fort), ailleurs il neige, avec les plus grosses quantités à la lisière ouest de la zone de neige. Au petit matin, on observe 21 cm à Uccle et 20 cm à Waterloo. Des épaisseurs rarement atteintes en novembre, et même rarement atteintes en hiver. Sur les trente années qui précèdent, seuls 1979 (19 cm en janvier), 1982 (18 cm en janvier), 1985 (23 cm en janvier) et 1998 (20 cm en décembre) ont produit des épaisseurs de neige comparables à Uccle.
Neige à Forest (Bruxelles) le 26 novembre 2005 en matinée.
Photo : Robert Vilmos
De faibles différences d’altitude, ainsi que l’urbanisation, peuvent faire de grosses différences. Toujours à Bruxelles, la Grand-Place est à peine enneigée tandis que l’aéroport, situé quelques dizaines de mètres plus bas que le haut de Bruxelles, ne connaît que 5 cm de neige en raison de températures trop élevées. À Uccle, les températures sont légèrement positives aussi, mais il reste encore 12 cm à 13 heures.
Plus à l’est, les chutes de neige sont généralement moindres, mais en raison du vent et des congères qu’il occasionne, l’impression hivernale reste parfaite. En Haute Belgique, une couche de neige préexistait, et s’épaissit bien en ce 26 novembre. À Elsenborn, on passe de 11 à 20 cm. À Mont-Rigi, on atteint même 27 cm. Enfin sur l’Entre-Sambre-et-Meuse, on relève 16 cm à Florennes. À Anvers, où il a neigé en premier, la couche de 4 cm du 25 au soir n’augmente plus tellement : 5 cm le matin avec fonte progressive en journée.
Le Hainaut, quant à lui, est coupé en deux. À l’est de Mons, les conditions sont parfaitement hivernales. À Charleroi, la couche de neige n’est certes que de 6 cm, mais grâce à des températures très proches de 0°C tout au long de la journée, la neige garde sa bonne qualité. Dans la Botte du Hainaut, on parle même de 12 cm. À Mouscron par contre, il n’a neigé que tôt le matin, avec quelques traces au sol, puis de la pluie tout au long de la journée, avec parfois encore l’un ou l’autre flocon de neige fondante. Mons semble se trouver à la limite. Un peu à l’ouest, à Saint-Ghislain, il est question de quelques centimètres d’une neige fondante et lourde le matin, qui disparaît sous la pluie par la suite. Un peu à l’est par contre, on évoque des chutes de neige à gros flocons avec une couverture neigeuse bien meilleure.
Au littoral, il continue à faire pluvieux et orageux, avec encore quelques bonnes rafales de vent, surtout sur l’ouest de la côte belge. Le ciel, là, est très différent aussi du reste du pays. Alors que le ciel est neigeux et laiteux sur la plupart des régions, le littoral connaît un véritable ciel de traîne, avec cumulus et cumulonimbus et averses se succédant les unes aux autres, mais aussi des coins de ciel bleu : des éclaircies où l’on voit également des cirrus et des altocumulus. Les températures maximales atteignent là 7 à 8°C.
C’est ici que nous revenons, une fois encore, aux températures de l’eau de la Mer du Nord, qui près de la côte belge, atteint une douzaine de degrés. Du côté de La Panne, en raison de la proximité de la Manche, on arrive même à 13°C. Et voilà que l’on retrouve, ici encore, notre différence de 5 à 6°C entre la température de l’eau et la température de l’air. Et comme le long du littoral, le vent souffle de nord-ouest, notre côte connaît les mêmes conditions qu’en pleine mer, avec un temps nettement plus doux, mais aussi beaucoup plus instable. Avec des températures de –4 à –5°C au niveau 850 hPa, à 1200 mètres seulement, nous sommes proches de l’instabilité absolue.
Nous avons parlé d’un vent de sud-ouest général, et d’un vent de nord-ouest sur l’ouest du pays. Analysons cela de plus près.
Faisons un zoom sur notre dépression et regardons d’abord les vents comment ils auraient dû souffler… en théorie.
Nous voyons les vents tourner autour de la dépression, dont le noyau est très proche de chez nous. Seulement voilà, le contraste de température est très marqué entre la mer et l’intérieur des terres, et il se forme le long de la côte un véritable front de basses couches, un front qui est l’inverse d’un front de brise de mer. Ce n’est pas un pseudo-front froid qui s’installe à quelques dizaines de kilomètres des côtes, mais un pseudo-front chaud. Pourtant, on observe la même cassure au niveau des vents. Ci-dessous, la même carte, mais cette fois-ci, avec les vents comme ils ont soufflé réellement.
Ce pseudo-front marque non seulement une cassure au niveau des vents, mais aussi au niveau de la température, du type de nuages et… du type de précipitations. Au nord-ouest du pseudo-front, il pleut ; au sud-est, il neige ! Les vents de sud-ouest, en effet, ont fait un parcours suffisamment long sur les terres pour bien se refroidir et permettre à la neige de tomber, et de tenir au sol.
Les modèles d’aujourd’hui sont en mesure de tenir compte d’une telle micro-analyse, mais pas encore ceux de l’époque.
Bien sûr, ce front ne concerne que les toutes basses couches de l’atmosphère. Malgré cela, l’énergie des averses est vite coupée par la couche d’air froid près du sol. Il n’y en a que quelques-unes qui survivent et qui se fondent à la perturbation neigeuse devenue stratiforme (cumulonimbus enclavés ou « embedded Cb »). Pour l’observateur au sol, il s’agit alors d’une neige qui se met soudain à tomber plus fort, voire qui est accompagnée d’un coup de tonnerre comme cela a été le cas aux petites heures à Bruxelles.
La carte ci-après illustre la manière dont les averses de la Mer du Nord viennent s’encastrer dans la perturbation neigeuse stratiforme présente à l’intérieur des terres.
Ces averses, survivant au sein de la perturbation neigeuse, concernent surtout la partie ouest de celle-ci et sont la cause des grosses couches de neige qu’on observe à Bruxelles (dans certains quartiers tout au moins), à Waterloo, à Braine-le-Château et localement autour de Mons (notamment à Colfontaine). Là, on est vraiment à la limite entre l’air froid et l’air plus doux. Les dénivelés d’une centaine de mètres dans toutes ces régions peuvent aussi faire toute la différence.
Enfin un mot sur les précipitations. La nuit, entre 19h (la veille) et 7h, il tombe 33 mm à Zelzate (Gand), 21 mm à Semmerzake, 19 mm à Brasschaat et 18 mm à Middelkerke. En journée (entre 7h et 19h), il tombe sous les orages 20 mm à Coxyde (qui s’ajoutent à 9 mm tombés la nuit). À Middelkerke, c’est l’inverse, il a davantage plu la nuit : 18 mm auxquels s’ajoutent 6 mm en journée. À Semmerzake, nous avons encore 10 mm, à Brasschaat 6 mm et à Zelzate 3 mm. Au total sur l’épisode, il tombe 36 mm à Zelzate, 31 mm à Semmerzake, 29 mm à Coxyde, 25 mm à Brasschaat et 24 mm à Middelkerke. Lille, en France, se défend bien aussi avec 24 mm. C’est beaucoup moins qu’aux Pays-Bas, mais la dépression (ex-polar low) ne passe pas inaperçue chez nous non plus..
Source : Weersite.net
Voici l'animation satellitaire en RGB (Red Green Blue) du MeteoSat Second Generation (MSG). On y voit facielement le front froid nous traversant. L'occlusion (en brun) s'enroule alors autour du noyau dépressionnaire près de la mer du Nord et ensuite sur les Pays-Bas. Ce front traverse la Belgique à la fin de l'animation.
Les jours qui suivent l’offensive neigeuse
Après le 26 novembre 2005, nous avons des situations très différentes d’un endroit à l’autre.
L’offensive hivernale se poursuit sur les Hautes-Fagnes et les Cantons de l’Est, en raison de la proximité de l’occlusion. Le 27 novembre y est jour neigeux, avec ciel blanc-gris sous les stratus. À Elsenborn, la couche de neige passe de 21 cm à 1 heure du matin à 33 cm à 22 heures du soir. À Mont-Rigi, la couche atteint même 35 cm. À l’aérodrome de Spa, la couche reste stable à 18 cm avant d’augmenter de 10 cm le soir et la nuit suivante pour atteindre 28 cm. Le 28 novembre y est tout aussi hivernal, avec 34 cm à Mont-Rigi, 33 cm à Elsenborn et 28 cm à Spa. Sur le Plateau Ardennais, on relève le matin 20 cm à Saint-Hubert, couche qui augmentera légèrement en journée pour atteindre 21 cm.
À Mont-Rigi, l’épisode neigeux de la fin novembre 2005 marque le début d’une très longue période d’enneigement qui s’étendra jusqu’au 24 décembre. Comble de la frustration : il reneigera le 26 décembre, si bien que seuls la veillée et le jour de Noël seront sans neige.
Sinon, on peut parler d’un hiver tout à fait exceptionnel dans les Hautes-Fagnes, puisque le sol restera ensuite enneigé presque en permanence jusqu’au 24 mars 2006 !
À moins de 600 mètres d’altitude, l’hiver 2005-2006 est bien moins exceptionnel. À Elsenborn, la neige se maintiendra jusqu’au 3 décembre. Par la suite, la couverture neigeuse sera irrégulière tout au long de l’hiver. À Saint-Hubert, le sol restera enneigé jusqu’au 2 décembre, puis l’enneigement y sera également irrégulier pendant l’hiver.
Au centre du pays, la neige résiste relativement bien là où il a beaucoup neigé. Le 27 novembre au matin, on relève encore 10 cm à Uccle. En journée, cette neige sera quelque peu fondante, mais la couverture neigeuse se maintiendra, tant bien que mal, jusqu’au 1er décembre. Là où il a moins neigé, la neige fond rapidement. À l’aéroport de Bruxelles, où la couche n’a atteint que 5 cm, la neige disparaît dès la matinée du 27 novembre.
Neige quelque peu fondante dans le Parc Duden (Forest) le 27 novembre vers 14 heures.
Photo : Robert Vilmos
L’Entre-Sambre-et-Meuse connaît encore quelques chutes de neige aux petites heures du 27 novembre et Florennes mesure 16 cm de neige au sol. Cette neige se maintiendra jusqu’au 2 décembre (alors sous forme de traces).
L’ouest du pays, à part du vent fort et des pluies abondantes, souvent accompagnées d’orage et de grêle, n’ont rien vu de l’offensive hivernale.
Comparons à présent avec un passé plus lointain. La Belgique, dans le temps, a connu deux épisodes neigeux majeur en novembre : celui de 1925 et celui de 1973.
En termes d’épaisseur de neige, l’épisode de 1973 a été partout supérieur à celui de 2005. On a relevé, ce novembre-là, 43 cm à Botrange (mais 81 cm le 1er décembre), 40 cm à Beauvechain et à Gembloux, et 34 cm à Uccle et à Ottignies. Même en plaine, on observe 23 cm à Brasschaat et 20 cm à Anvers, tout comme à l’aéroport de Bruxelles. En termes de longévité, l’épisode de 1973 a fait moins bien que celui de 2005 sur les Hautes-Fagnes, avec « seulement » 13 jours d’enneigement. Partout ailleurs, c’est l’épisode de 1973 qui a été supérieur, aussi en longévité.
Sur l’épisode de 1925, nous savons moins de choses. À Uccle, l’épaisseur maximale a été de 34 cm comme en 1973, pour une durée de 14 jours d’enneigement complet (contre 9 jours en 1973). Sur les hauteurs, on relève 62 cm à Drossart, 50 cm à Bastogne et 44 cm au Barrage de la Gileppe.
En dehors de ces deux années, quelques autres épisodes neigeux ont été observés en novembre au 20e siècle, mais de moindre importance..
Conclusion
Que peut-on dire maintenant, si une même situation atmosphérique qu’en 2005 devait se reproduire ?
A priori, on serait tenté de répondre que le potentiel serait bien moindre. La température moyenne, depuis 2005, a encore augmenté de quelques 0,8°C dans nos contrées, la Mer du Nord s’est réchauffée d’à peu près autant et la calotte polaire arctique est dans un état misérable. D’où peut encore nous venir le froid par courants polaires maritime ?
Et pourtant ! La météo nous a réservé des surprises même au cours d’années très récentes. En 2021, de grandes parties de la Basse et Moyenne Belgique se sont retrouvées sous un manteau blanc une bonne partie de la journée les 6 et 7 avril, ce qui est tout à fait exceptionnel pour la saison.
En 2022, on remet ça. À nouveau jusqu’à 5 cm de neige en plaine le 1er avril. Certaines communes du haut de Bruxelles restent même blanches toute la journée.
Quelques années plus tôt, en 2019, on mesure 8 cm de neige à Couvin le 4 mai, phénomène tout à fait inédit pour la région.
Le 16 octobre 2015, le Plateau Ardennais connaît l’un des enneigements les plus précoces de son histoire.
Comment cela se fait-il ? Paradoxalement, c’est dans le réchauffement climatique lui-même qu’il faut rechercher l’explication. Le jet-stream, né de la différence de température entre le pôle et les régions tempérées et tropicales, ralentit en moyenne en raison de la diminution de cette différence, le pôle se réchauffant plus vite que les autres régions du globe. Et en diminuant de vitesse, le jet-stream tend à onduler davantage, avec des situations de blocage de plus en plus fréquentes et de plus en plus amples, ce qui a des répercussions sur les phénomènes adiabatiques de l’atmosphère.
Combien de records de chaleur en altitude n’ont-ils pas été pulvérisés en raison de subsidences anticycloniques inédites, les fameux « dômes de chaleur » comme on les nomme maintenant. De même, les dépressions en altitude, les « gouttes froides », s’amplifient aussi et le refroidissement par détente adiabatique surcompense parfois le réchauffement climatique. C’est ainsi que le 6 avril 2021, des températures jamais vues en avril ont été observées en altitude, augmentant fortement l’instabilité. Dans les averses les plus fortes, l’air froid ramené vers le bas par les précipitations a fait chuter la température jusqu’en dessous de 0°C même en plaine et ce, en pleine journée. Du jamais vu en avril en Belgique. Et le soleil d’avril, dans les quelques éclaircies, n’arrivait plus à faire fondre toute la neige d’où des enneigements persistant parfois jusque tard dans la journée.
Le 4 mai 2019, après le passage d’un front froid, la température était particulièrement basse en altitude pour la saison, avec –6°C au niveau 850 hPa. En surface, aux petites heures, il pleuvait encore presque partout dans le pays, mais sous l’intensité des précipitations, l’air froid d’altitude a été tiré vers le bas et s’est refroidi encore davantage par l’évaporation des précipitations. Par « isothermie », la limite du gel est descendue de plus en bas jusqu’à passer en dessous de 300 mètres d’altitude. Du coup, la pluie s’est transformée en neige, avec enneigement complet du sol à Anthisne (287 m). À des altitudes comparables, on a même relevé 3 cm de neige à Herve et 8 cm à Stembert (Verviers), ainsi qu’à Presgaux (Couvin). Pour cette dernière station, c’était du jamais vu dans la région au mois de mai.
Ceci illustre que des extrêmes de froid et de neige sont toujours possibles de nos jours et que cela pourrait même un jour nous tomber dessus en plein hiver, avec alors des conditions tout à fait extrêmes.
La variabilité du climat augmente. Les records de chaleur sont légion de nos jours, mais il arrive encore qu’une situation froide, rendue plus extrême par les blocages décrits ci-dessus, surcompense le réchauffement climatique et nous plonge dans des conditions hivernales inédites.
Le cas de novembre 2005 préfigure déjà notre climat actuel. Dans sa configuration, il était exceptionnel à l’époque, il pourrait devenir plus fréquent à l’avenir. À nous de nous préparer à toutes sortes de phénomènes météorologiques amplifiés, voire inédits, qui pourraient survenir dans notre climat qui continue de changer.
Sources
IRM Données de températures, précipitations, etc.
KNMI Cartes météorologiques
Infoclimat Données de températures, précipitations, etc.
Kachelmann Wetter Données de températures, précipitations, etc.
University of Wyoming Sondages atmosphériques
Weerplaza Cartes de précipitations
MeteoSat
MétéoBelgique Forum des observateurs