La période chaude du début octobre 2011
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- Publication : lundi 3 octobre 2011 08:09
- Écrit par : Philippe Mievis
INTRODUCTION
Pour déterminer le degré d’exceptionnalité d’un phénomène météorologique, il nous faut une longue série d’observations homogènes (ou homogénéisables). De nombreuses stations de notre réseau climatologique ont été installées près des aéroports ou aérodromes, et disposent d’observations depuis une soixantaine d’années environ. Certaines stations disposent de séries encore plus longues. C’est le cas d’Uccle notamment, qui a une série d’observations ininterrompues depuis 1886. Toutefois, un changement d’abri, qui est intervenu en 1968, a nécessité une homogénéisation des données qui, pour ce qui concerne les températures au jour le jour, a parfois posé quelques problèmes. Toutefois pour le cas que nous étudions, le rayonnement du soleil de fin septembre – début octobre est moins intense qu’en été, et l’erreur liée à l’ancien abri est moins importante. En outre, les précédentes chaleurs tardives se sont produites sous des conditions à peu près identiques à celles que nous connaissons actuellement, ce qui fait qu’en corrigeant les anciennes données (températures maximales) de 0,7 à 0,8°C, on arrive très près de la vérité.
Les Hautes Fagnes disposent aussi de très longues séries. Là, ce sont les déplacements de station qui provoquent quelques ruptures. Jusqu’en 1975, les observations ont été faites à la Baraque Michel, ensuite à Mont-Rigi. Temporairement (1985 à 1989), les relevés ont aussi été effectués au Centre Nature de Botrange. Heureusement, ces trois stations ont des caractéristiques très proches, ce qui fait que l’on peut considérer, dans ce cas-là aussi, que les données anciennes sont comparables aux données plus récentes.
Un autre élément important est la période de référence choisie pour déterminer des records. Si l’on prend le mois entier, la période est trop longue puisque les records ont tendance à se produire à la fin du mois au printemps, et au début du mois en automne. Si l’on opte pour un seul jour, les aléas purement statistiques sont trop importants. Ainsi, par exemple, si un 22 septembre, par le plus pur des hasards, n’a jamais été touché par une vague de chaleur, le record du jour (« c’est le 22 septembre le plus chaud de l’histoire ! ») est très facile à battre, ce qui ne sera peut-être pas le cas pour le 21 ou le 23 septembre. En règle générale, les climatologues s’accordent à choisir la décade comme période de référence. Il s’agit en effet d’un compromis pour arriver d’une part à des périodes de l’année qui soient climatiquement pertinentes pour être comparées, et pour éviter d’autre part les aléas statistiques décrits ci-dessus.
ANALYSE
Commençons à présent à analyser les deux jours les plus chauds de la période de beau temps en cours.
Le 1er octobre 2011
Sous un ciel serein ou presque (quelques très rares cirrus), la température est montée incroyablement haut pour la saison dans la plupart des régions en Belgique. À Uccle et à Middelkerke, le maximum a atteint 26,9°C ; à Beitem et à Kleine Brogel, 27,8°C ; à Coxyde, 28,0°C et à Chièvres, 28,9°C. À Beauvechain, on notait encore 26,5°C ; à Bierset, 25,3°C ; à Saint-Hubert, 24,1°C et à Mont-Rigi, 23,9°C.
Avec une brise de mer qui ne s’est levée que très tard (vers 18 heures), c’est la côte belge qui a eu droit aux températures les plus extraordinaires. Là, tous les records ont effectivement été battus. Les 28,0°C de Coxyde ont battu à plate couture le précédent record, qui a été de 26,9°C le 1er octobre 1959. À Middelkerke, les 26,9°C ont aussi été les plus élevés de la série pour cette station. Dans l’ancienne station d’Ostende (située à l’orphelinat d’Ostende, dans l’ouest de la ville, et donc très comparable avec l’actuelle station de Middelkerke), on avait observé 26,1°C en 1921, ce qui veut dire que l’on peut vraiment affirmer, là aussi, que 2011 a connu les plus hautes valeurs jamais enregistrées.
À Chièvres, où l’on observe depuis 1954, les 28,9°C sont de loin de la température la plus élevée de la série. Le précédent record, qui a été « pulvérisé », datait du 12 octobre 1990 avec 25,8°C. Durant la première décade d’octobre, le précédent record a été de 25,7°C en date du 2 octobre 1959.
Des records ont également été battus à Beauvechain, Kleine Brogel et Saint-Hubert, dont on dispose de données depuis 1953. Dans quelques endroits du pays, le 2 octobre a été encore plus chaud que le 1er, avec comme conséquence d’autres records encore. C’est le cas, par exemple, de Deurne, où les 25,4°C du 1er n’ont pas été suffisants pour battre un record, mais bien les 26,2°C du 2.
En d’autres endroits, l’inversion a eu un peu plus de mal à se résorber, avec des maxima un brin plus bas. Les 25,3°C de Bierset, par exemple, se placent après le 7 octobre 1965 (26,3°C), les 4 octobre 1983 et 12 octobre 1990 (25,7°C) et le 10 octobre 1979 (25,4°C). Là, le 2 octobre n’a pas réussi à faire mieux, avec « seulement » 24,4°C.
Dans les Hautes Fagnes, le record a par contre été pulvérisé. Les 23,9°C de cette année sont de loin supérieurs aux 22,5°C du 9 octobre 1969, précédent record de la série qui débute en 1945 (période quasi ininterrompue, seule l’année 1999 est manquante). Les 23,5°C du 2 y ont été à peine moins remarquables.
À Uccle, comme dans de nombreuses stations, le record de l’après-guerre a été clairement battu. Toutefois, les 6 et 9 octobre 1921, on peut estimer, après application du correctif, que la température a très légèrement dépassé les 27°C. Dans ce cas-là, les 26,9°C ne sont plus un record sur la totalité de la série, qui compte 125 ans.
Le 3 octobre, un sixième jour d'été consécutif est venu s'ajouter dans de nombreuses régions, ce qui a rendu la période encore un peu plus exceptionnelle. Voici quelques températures : Kleine Brogel : 26,7°C, Zelzate : 26,2°C, Beitem : 26,1°C, Uccle : 25,6°C. Le tout sous un ciel serein ou presque, avec quelques cirrus et de très rares altocumulus, un peu plus fréquents sur l'ouest du pays. Toutefois les traînées de condensation des avions (contrails) avaient tendance à persister longtemps, signe d'humidité dans les hautes couches et souvent l'annonce d'un changement de temps (qui est effectivement venu ce 4 octobre).
Le littoral a également connu, ce 3 octobre, une nouvelle journée d'été avec 25,4°C à Middelkerke et 25,3°C à Coxyde, ce qui fait respectivement 5 et 6 jours d'été consécutifs pour ces deux stations. Inutile de dire que pour le littoral, c'est vraiment très exceptionnel, sans exagération.
En de nombreux endroits, on a relevé des températures très proches à celles du 1er octobre, avec 26,8°C à Bierset, 27,3°C à Uccle et à Beauvechain ; 27,6°C à Chièvres et 27,9°C à Kleine Brogel. À Middelkerke, on notait 25,8°C, à Mont-Rigi, 23,4°C et à Saint-Hubert, 22,4°C (mais 23,1°C le 30). Mais là, on était encore en septembre, et à aucun endroit, le record de la troisième décade n’a été battu. Cela montre toute l’absurdité des records d’un jour, tels que commentés dans la presse pour le 29 septembre. Même au cours d’années récentes comme 2003 et 2006, des maxima plus élevés ont souvent été relevés dans le pays au cours de la 3e décade de septembre. L’honneur de l’exceptionnalité revient cependant à une année très ancienne, en l’occurrence 1895, où des températures de 29°C ont encore été relevées les 25 et 26 septembre à Uccle. En bien des endroits du pays, les 30°C ont même été dépassés le 25 ou le 26 septembre de cette année-là (voir détails plus bas).
La période du 24 septembre au 3 octobre
Il s’agit d’une période de beau temps particulièrement longue. Grâce à des hautes pressions à l’est et au sud de nos régions, le ciel a été le plus souvent serein ou peu nuageux, avec des cirrus et de rares altocumulus en début de période. Seuls les 24, 25 et 27 ont temporairement connu de modestes développements cumuliformes. Le 26 a été un peu plus nuageux sous l’influence d’une faible occlusion venant mourir sur notre pays, avec des stratocumulus, altostratus, altocumulus et cirrus le matin, dont ne subsistaient que des altocumulus et des cirrus en journée. En après-midi, à nouveau quelques stratocumulus, parfois doublés de cumulus. Ensuite le beau temps est revenu, avec souvent même un ciel parfaitement serein. La quantité de brume matinale (avec éventuellement brouillard, stratus et stratocumulus bas) a été très variable d’une région à l’autre et d’un jour à l’autre, en fonction des inversions au sol. Ces brumes n’ont toutefois jamais été vraiment persistantes.
On remarque les hautes pressions au large de l'Irlande et sur l'Europe de l'Est.
Source : Hirlam, KNMI
Pendant cette période, les températures ont été constamment supérieures à 20°C partout, à l’exception des plus hauts plateaux où il a fait 19°C le premier jour. En Basse et Moyenne Belgique, ces températures oscillaient entre 21 et 22°C le premier jour, et le plus souvent entre 23 et 27°C les autres jours. On y note généralement 5 jours d’été (≥25°C) consécutifs, ce qui est vraiment exceptionnel si tard dans l’année. Par le passé, seules deux périodes peuvent être considérées comme encore plus exceptionnelles : celle de 1895 par son intensité et celle de 1921 par le fait d’être encore plus tardive.
En 1895, sous des conditions très anticycloniques et un ciel restant obstinément serein pendant des jours et des jours, le thermomètre monte jusqu’à des valeurs inédites pour la saison, et les records atteints pendant cette troisième décade de septembre ne sont toujours pas battus, même pas de nos jours. À Uccle, la température atteint 29°C les 25 et 26 septembre et 6 jours d’été sont observés durant la troisième décade de septembre. D’ailleurs, le mois de septembre dans son ensemble est l’un des plus chauds de la série alors que le record de sécheresse est battu, avec seulement 1,5 mm d’eau tombés en 3 jours.
Ailleurs dans le pays, en cette fin septembre, les températures sont plus remarquables encore, avec 30°C au centre de Liège. À Spa, la température frise les 30°C pendant 3 jours consécutifs, tandis que la température reste constamment supérieure à 25°C du 23 septembre au… 1er octobre. On y a presque atteint le stade d’une vague de chaleur officielle, et il n’est pas exclu que ces critères aient été atteints ici et là. Il convient de noter que la station de Spa de l’époque se trouve à Spa même, dans la vallée, et non sur les hauteurs comme c’est le cas actuellement. La station d’antan se trouve à une altitude de 240 mètres. Cette situation, dans la vallée, se remarque aussi aux écarts de températures observés entre le jour et la nuit au cours de cette période, qui atteignent souvent 17 à 20°C.
Au littoral, pendant ce temps, on observe souvent des valeurs entre 24 et 27°C avec un ciel tout aussi dégagé. Seul le 23 septembre a connu une forte influence de la brise de mer, avec seulement 20°C à Ostende.
En 1921, grâce à un courant de sud commandé par des hautes pressions situées en moyenne à l’est et au sud de nos régions, on observe des températures comprises entre 25 et 30°C en de nombreux endroits du pays entre le 4 et le 10 octobre. À Uccle, la température monte jusqu’à 27°C les 6 et 9 octobre. Des valeurs similaires sont observées également à Denée-Maredsous, Gembloux, Huy, Paturage et Rochefort. En Campine et dans certaines vallées ardennaises, les valeurs montent même jusqu’à 28-29°C et un petit 30°C local n’est même pas à exclure, même s’il n’est atteint dans aucune station officielle belge. Au Limbourg néerlandais par contre, c’est bel et bien le cas le 10 octobre avec 30,1°C à Sittard. Le 18 de ce même mois, on observe à nouveau un jour d’été en de nombreux endroits, même au centre du pays. Il s’agit là du jour d’été le plus tardif jamais enregistré dans la plupart des endroits.
En 1959, 1985, 2003 et 2006, des étés tardifs remarquables ont également été observés en septembre ou octobre, mais de moindre intensité que l’épisode que nous connaissons actuellement. Toutefois en 2006, en raison de la constance des températures trop élevées et de l’absence quasi-totale de froid, on notera globalement l’automne le plus chaud jamais observé en Belgique.
CONCLUSION
Il n’est évidemment pas faux de dire que la période que nous venons de connaître est exceptionnelle, voire très exceptionnelle. Toutefois, il faut être très prudent lorsqu’on affirme que c’est du jamais vu. En effet, 1895 et 1921 ont été encore plus remarquables à ce propos et ce, probablement sur la quasi-totalité du territoire. Hélas, de nombreuses stations actuelles n’existaient pas encore, ou n’étaient pas au même endroit à l’époque, ce qui rend la comparaison plus difficile pour des régions comme Liège ou Charleroi par exemple.
En outre, il convient d’être encore plus prudent lorsqu’on dit y voir les effets du réchauffement climatique. Si celui-ci a peut-être contribué à l’excès de certaines températures, on ne peut en aucun cas dire qu’il a provoqué l’été tardif que nous venons de connaître. D’autant plus qu’en juillet et août 2011, on avait un peu l’impression que le réchauffement climatique avait disparu de nos régions, ce qui, évidemment, n’était pas vrai non plus.
SOURCES :
IRM
KNMI
OGIMET
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