Interview à propos des cyclones et des effets du réchauffement climatique sur les phénomènes extrêmes
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- Publication : samedi 2 mai 2009 10:52
- Écrit par : Philippe Mievis
Niveau : initié
Dans le cadre d'un travail de fin d'études, notre responsable climatologie de MeteoBelgique - Philippe MIEVIS - s'est prêté à une séance d'interview relative aux cyclones et aux conséquences du réchauffement climatique sur les phénomènes extrêmes et a répondu aux questions de Monsieur Michaël PACQUET.
Voici le contenu de cette interview.
Vue par satellite du cyclone tropical Ivan, le 7 septembre 2004.
On remarque l'oeil du cyclone au centre de la photo.
Il atteindra la catégorie 5 et fera de nombreuses victimes et de nombreux dégâts sur son passage.
Philippe MIEVIS : Un cyclone, pour qu’il puisse se former, doit se développer au-dessus d’un océan dont la température de l’eau est d’au moins 26°/26,5°C. Tant que cette température n’est pas atteinte, aucun cyclone ne peut se développer. Ensuite, il faut qu’il soit dans un endroit de la planète où une masse d’air chaud et humide puisse monter et provoquer la formation du système. C’est la raison pour laquelle les cyclones se développent toujours aux environs des latitudes 10 à 30°. Pourquoi là ? Parce qu’il y a vraiment à ces endroits toutes les caractéristiques nécessaires à leur formation. Et aussi, la force de Coriolis commence à agir à ces latitudes, c’est pourquoi les cyclones ont une telle forme, dite en « spirale ».
M.P : Quelles influences pourrait avoir le réchauffement climatique sur les cyclones ?
P.M : Cette influence est assez complexe. Il faut d’abord savoir qu’il y a cinquante ou quarante ans, nous ne disposions pas des moyens techniques d’aujourd’hui. Tous les cyclones n’étaient pas forcément détectés. En effet, sans satellite, si un cyclone se formait au milieu d’un océan, on ne pouvait pas forcément le savoir : les bateaux ne notaient pas tous les phénomènes qu’ils rencontraient et les services météo n’étaient pas bien renseignés. On peut donc estimer qu’il y avait des cyclones qui passaient un peu inaperçus. Il est donc difficile de comparer les choses avant les années 60- 70 car le premier satellite météo date de 1963. Ensuite, on a quand même essayé de faire des comparaisons mais malheureusement nous ne disposons pas suffisamment d’espace temps pour établir une analyse statistique vraiment fine. Cependant, il semblerait qu’il n’y en aurait pas plus mais que la proportion des ouragans puissants serait plus forte : ce serait la tendance vers laquelle les chercheurs se dirigent actuellement. En résumé, il n’y en aurait pas plus au total sur une année mais il y aurait plus de cyclones appartenant aux catégories 4 et 5 qu’auparavant. Enfin, comme la température des océans risque d’augmenter sensiblement suite au réchauffement global, il y aura plus de zones dans lesquelles les cyclones pourront se développer.
M.P : Les zones cycloniques pourront-elles se déplacer et toucher un jour l’Europe comme Vince en 2005 ?
P.M : Même si cela reste exceptionnel, il semble que cela soit déjà arrivé dans le passé. Par rapport à ça, je suis allé regarder dans certaines archives. En fait, il semblerait, même si on en n’a pas la preuve, avec le type de dégâts et la manière dont ça s’est produit, que le 7 et le 8 décembre 1703, il y aurait eu un cyclone qui aurait pu toucher l’Europe. Ça n’a rien à voir avec le réchauffement bien sûr, c’est rare, mais statistiquement, ce n’est pas impossible. D’ailleurs, en 1984, il y a eu un cas où un cyclone (Hortense), qui ressemblait à Vince, aurait touché la France. Ce n’était plus vraiment un cyclone, c’était plutôt une tempête synoptique ou un cyclone en phase de dégénération, mais les conséquences sont les mêmes, à savoir de gros dégâts. Maintenant, dire que ça n’arrivera pas plus souvent avec le réchauffement, c’est difficile à dire. Peut-être, mais rien n’est moins sûr.
M.P : Quelles sont vos perspectives d’avenir en ce qui concerne le réchauffement climatique ?
P.M : En ce qui concerne cette question, je vous propose de retourner voir une interview réalisée par une de vos collègues, où j’ai répondu à une série de questions concernant le réchauffement (voir l’interview annexe réalisée par Cassandre Lomba).
M.P : Est-ce que le réchauffement climatique serait responsable des phénomènes extrêmes type canicule de 2003 et de 2006, ou encore les tempêtes de 1999 en France ?
P.M : Celaa dépend bien sûr des phénomènes. Il faut toujours remettre l’élément dans son contexte pour pouvoir dire « ok celui là, on le classe dans les phénomènes qui pourraient être liés au réchauffement global » ou inversement. En ce qui concerne les tempêtes, on se rend compte depuis le tout début des années 1990, plus ou moins le moment où le réchauffement climatique a vraiment commencé à se faire sentir en Europe, que les tempêtes hivernales semblent plus fréquentes. Avant, il était plus fréquent de subir des tempêtes pendant l’automne ou au moment de l’équinoxe. Ça existait avant bien sûr mais ces dernières années, dès qu’un évènement se produit au niveau du vent, c’est souvent en hiver. On a l’exemple de la France avec le passage deux tempêtes en fin décembre 1999 (Lothar et Martin). Plus récemment on se souviendra au début de cette année 2009 de la tempête qui a littéralement paralysé le sud-ouest de la France.
Les canicules, c’est plus compliqué. Il ne faut pas tout attribuer au réchauffement climatique. C’est trop facile… La canicule de 2003, je ne suis pas sûr que la cause soit imputable au réchauffement climatique. Pourquoi ?
Il existe de nombreux cycles climatiques. Il y en a qui sont connus, d’autres pas. Par exemple, il existe, en hiver, des cycles de 23 ans. Ces cycles sont caractérisés par des années qui ont connu des hivers remarquablement froids, souvent par série de 2-3 dont un se prolongeait sur au moins deux mois : ce fut le cas en 1985, 1963, 1940, 1917,... Cela s’explique par l’activité solaire. Nous sommes a priori dedans. Cela expliquerait la vague de froid de ce mois de janvier 2009. Nous connaissons donc un hiver assez froid cette année mais globalement, nous restons légèrement au- dessus de la normale. On peut illustrer cela par une onde sinusoïdale qui monte légèrement.
Au niveau des canicules, c’est beaucoup plus subtil et moins évident, mais des cycles existent aussi : si à partir de 2003, on remonte dans le temps, on remarque des étés très chauds et très secs qui sortent du lot : 1976, 1947, 1921... Soit une récurrence tous les 26-29 ans environ.
Donc selon moi la canicule de 2003 ne fait pas partie du réchauffement. Elle correspondrait à un cycle climatique encore inconnu. Ce qui n’est pas le cas de 2006 qui selon moi, est à attribuer au réchauffement climatique. Cette canicule était vraiment atypique et exceptionnelle. Durant tout le mois de juillet 2006, la chaleur a vraiment été exceptionnelle et durable avec une intensité jamais observée jusque là. Mais ce qui est encore plus remarquable, c’est le mois d’août qui a suivi, qui était tout le contraire de son voisin juilletiste, à savoir très frais et maussade. Et ça, ce n’est jamais arrivé. Quand il y avait un mois de juillet très chaud, le mois d’août a toujours été au moins assez chaud lui aussi. Pourquoi le mois d’août 2006 a-t- il été aussi frais alors ? Cela pourrait s’expliquer par la température de l’eau de mer (Mer du Nord, Méditerranée, proche Atlantique) qui était déjà plus chaude que la normale avant la canicule de 2006. Mais après la canicule, elle l’était encore bien plus. Et tout s’est emballé très rapidement. En effet, il y a eu une petite descente froide et en arrivant sur l’eau très chaude, cela a provoqué le temps maussade, perturbé et frais que nous avons connu. Je ne crois donc pas, comme certaines personnes le disent, que, suite au réchauffement climatique, nos futurs étés seront chauds et secs comme 2003 dans l’avenir, mais je crois plutôt qu’ils seront plus proches de celui de 2006, donc particulièrement contrastés.
M.P : La saison cyclonique 2005 a été très active – on a battu tous les records- mais pourquoi a -t- elle été aussi active ? Est-ce lié au réchauffement ?
P.M : Non, je ne pense pas que cette fréquence importante soit liée au réchauffement. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a également des cycles au niveau des cyclones qui ont toujours existé mais qu’on n’arrive pas encore à bien les expliquer aujourd’hui. On ne va pas rentrer dans les détails ici, ce n’est pas le but, mais ce qui est très important à savoir c’est qu’il y aurait des périodes qui seraient plus propices à la formation des cyclones. Ce cycle aurait commencé en 1995 et se terminerait en 2020. On est donc dans une période où il y a plus de possibilités de voir se développer des cyclones. Donc selon moi, ce n’est pas lié au réchauffement. La saison cyclonique 2005 n’expliquerait donc pas le fait que nous nous trouvions en plein dedans. Certains de ces cycles seraient expliqués par des courants atmosphériques dominants au niveau de la stratosphère. Ils iraient dans une direction ouest-est et 20-30 ans plus tard, ils changeraient de direction. Il y aurait donc des effets de cisaillement qui favoriseraient ou non le développement des cyclones durant ces périodes.
Depuis 1995, on remarque une augmentation de l'activité cyclonique,
alors qu'elle était plus basse depuis la fin des années soixante.
Cette période de relative majoration de l'activité devrait se poursuivre jusqu'en
2020 environ, avant de connaître une nouvelle baisse...
A moins que le réchauffement global ne vienne brouiller les cartes.
P.M : L’Atlantique Sud est un mauvais endroit. Pourquoi ? Déjà, il y a des courants froids dans l’Atlantique sud ce qui n’est l’idéal pour le développement des cyclones. Il n’y a pas de belle zone, comme la zone des Caraïbes ou le Golfe du Mexique, qui permettrait à la mer de se réchauffer plus rapidement. Il y aurait aussi le fait qu’à cet endroit, les effets du cisaillement iraient nettement en défaveur de la formation de cyclone. Un effet de cisaillement, c’est lorsque les vents en surface et en altitude sont de directions opposées. Ils auraient donc tendance à casser la formation des cyclones.
M.P : Quels sont les plus grands dangers d’un cyclone ?
P.M : Tout d’abord, il y a bien sûr les vents qui peuvent atteindre des vitesses extrêmement fortes. Autour de l’œil, il peut aussi y avoir des tornades localisées, en plus des vents qui sont dévastateurs autour de l’œil. Il y a aussi les inondations, directes dues aux quantités de précipitations mais aussi indirectes avec le vent qui pousse la mer loin dans les terres et qui détruit les digues comme en Louisiane lors du cyclone Katrina en 2005.
L'effet dévastateur du cyclone : ici, après le passage d'Andrew en 1991 :
vents violents et inondations ont laissé derrière eux ce paysage de désolation.
P.M : Ca c’est très difficile à dire parce qu’El Niño a une influence sur tout : par exemple, il a été prouvé qu’El Niño a une influence directe sur le climat des USA, et indirect sur le climat de nos contrées.
C’est donc vraiment un des moteurs de tout le reste, du climat mondial. On ne sait d’ailleurs pas très bien expliquer par quel mécanisme il influence le reste du climat du monde entier. Quand on a un phénomène El Niño, la température de l’eau du Pacifique équatorial au large du Pérou et jusqu’en Indonésie est plus élevée et va donc avoir une influence non négligeable sur la formation des cyclones dans le Pacifique. Les cyclones tropicaux ne se forment que lorsque la température de l’océan dépasse 26 °C. Il n’y a donc pas d’influence directe sur les ouragans qui se développent dans l’océan Atlantique. En revanche, le déplacement de l’eau chaude dans l’océan Pacifique a comme conséquence que la zone où se trouvent les cyclones tropicaux se déplace. Ainsi durant le grand El Niño de 1982-1983, la Polynésie a connu un grand nombre de cyclones tropicaux alors que, dans des conditions normales, c’est un phénomène assez rare. Au début de l’automne, un cyclone tropical a fait d’énormes dégâts à Acapulco. Cette région est normalement sujette aux ouragans, aussi celui qui a sévi à Acapulco n’est pas exceptionnel en soit. Mais, la température de l’océan était plus élevée que d’habitude. Ce fait peut expliquer qu’il a été beaucoup plus violent que d’ordinaire.
M.P : En ce qui concerne la prévision des cyclones, où en est la recherche et pourrons- nous un jour prévoir plusieurs jours à l’avance la trajectoire précise d’un cyclone ?
P.M : Précise ? Malheureusement non, même s’il y a énormément de progrès qui ont été faits et qui se feront encore. On a commencé à prévoir les trajectoires avec la naissance des premiers grands ordinateurs et l’imagerie satellitaire vers 1970. Les résultats n’étaient pas trop mauvais pour les 24 heures à venir mais très mauvais à partir de 2 jours. Malgré des progrès constants et indéniables au cours des dernières années, les prévisions de trajectoire restent délicates : l'erreur moyenne dans la position prévue du centre d'un système tourbillonnaire à 24 heures d'échéance dépasse encore 150 kilomètres, celle à 48 heures d'échéance est voisine de 300 km, celle à + 72 heures supérieure à 400 km !
La marge d’erreur diminue donc de plus en plus. C’est très important par exemple aux Etats- Unis : lorsque les météorologues prévoient un cyclone de forte activité, les gouverneurs font évacuer les zones sensibles. Il s’agit bien sûr de ne pas se tromper dans la trajectoire : à 100 km près les conséquences peuvent être très différentes…
Depuis 1970, des progrès constants ont été faits pour diminuer les marges d'erreur
des trajectoires des cyclones tropicaux, surtout à moyen terme.