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Vigilance météo
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Il y a 200 ans : 1816, l'année sans été

Niveau : initié 

Il y a 200 ans, en 1816, le temps fut très frais, pluvieux et maussade tout au long de l'été.
Ce fut sans doute un des pires étés de ces 200 dernières années, à tel point qu'il est resté dans les annales comme "1816, l'année sans été". Il aurait, dit-on, même neigé en plein été. Alors, légende ou réalité ?
Une des causes de cet été très frais, que l'on retrouve cette année là sur quasiment toute l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord, est à rechercher auprès d'une éruption volcanique majeure, celle du Tambora, en Indonésie, plus d'un an auparavant.
Explications.

Rappel des faits et données climatologiques.

Si, à l'époque, il n'existait a priori pas de données de relevés de températures officiels en Belgique (ceux-ci ont commencé en 1833), nous pouvons nous baser sur des relevés de températures non officiels, corroborés par ceux de nos pays voisins.
On estime généralement que le déficit de température de l'été 1816 (mois de juin, juillet et août) fut d'environ 3°C. Pour donner une idée, cet écart négatif est aussi extrême que n'a été l'écart positif de l'été 2003.  Des sources parlent de chutes de neige à Bruxelles en début juin, début juillet et fin août. Les récoltes ont été catastrophiques, amenant la famine en Europe.

Ecart aux normales (de l'époque) des températures de l'été 1816 pour l'Europe.

À Bruxelles, dans ces années-là, les températures ont été successivement mesurées par le Baron de Poederlé, l’Abbé Mann et Monsieur Kickx, père. Ces données ont été homogénéisées par la suite par ECA&D. Un cross-check de ces données permettent d’affirmer que ces températures ne sont absolument pas fantaisistes, même s’il est impossible de les reconstituer vraiment au degré près. Qu’est ce que cela donne donc pour l’été 1816 ?

Pour Bruxelles, la moyenne des minima et des maxima a été de 8,4°C/17,4°C en juin, de 10,3°C/19,3°C en juillet et de 10,0°C/18,7°C en août. C’est froid, mais moins extrême que l’on croyait. Cet été pourrait être comparé avec l’été pourri de 1956, où ces valeurs ont été, respectivement, de 9,5°C/16,3°C, 13,5°C/21,0°C et 11,1°C/18,5°C (ramené à l’abri fermé). Ce qui est frappant, par contre, c’est la constance du froid au cours des 3 mois de l’été 1816, alors qu’en 1956, au moins un mois a été plus ou moins potable. C’est vrai aussi pour les autres étés pourris du 20e siècle, où soit juin, soit juillet, soit août a été un peu moins mauvais. À partir des années 1990, les étés « pourris » ne comportaient plus qu’un mois vraiment mauvais (juillet 2000, août 2006).

Du point de vue des extrêmes, on observe en juin 1816 un minimum de 4,7°C le 6, tandis que le maximum le plus bas a été de 10,6°C le 9. Cette dernière valeur peut être considérée comme extrêmement basse pour un mois de juin. Toutefois les chutes de neiges, décrites dans certains témoignages, nous semblent exclues. C’est encore plus vrai en juillet et en août, où aucune valeur proche du gel n’a été observée (minimum absolu de 8,7°C en juillet et de 8,3°C en août). Ce qui frappe, par contre, c’est la quantité de maxima inférieurs à 15°C en juin (10 jours). En juillet et en août, les maxima oscillent presque constamment entre 15 et 20°C. En outre, seuls deux jours d’été ont été observés au cours de l’ensemble des 3 mois. En tenant compte des aléas des anciennes mesures, il est possible qu’il y ait un 3e jour d’été quelque part (valeur brute entre 24 et 25°C qui pourrait donner 25°C actuellement), mais certainement pas plus.
Le 21 juillet (pas encore fête nationale dans une Belgique qui n’existait pas) a été le jour le plus chaud avec 26,5°C.

Et qu’en est-il du temps qu’il faisait ? Hélas pour Bruxelles, il n’existe aucune observation attestée d’autres paramètres, par contre des observations assez précises existent pour Haarlem aux Pays-Bas. Elles permettent de se faire une bonne idée du temps qui faisait.

Du 1 au 11 juin, on a observé des courants polaires maritimes de nord-ouest, attestés par la direction prédominante du vent, les températures et le type de temps, souvent nuageux avec tantôt de la pluie continue, tantôt des averses, beaucoup de vent, des vents de tempête le 4 juin et de la grêle le 6 juin. En outre, il a fait particulièrement froid du 7 au 9 juin avec des maxima de 11°C environ et un temps généralement couvert et parfois pluvieux.

Après un bref épisode de beau temps par vent d’est, les courants polaires maritimes nous reviennent jusqu’à la fin du mois, un rien moins froids mais toujours avec un cortège de nuages, de vent et parfois de pluie.

Le mois de juillet apparaît comme un mois particulièrement pluvieux avec des courants zonaux et, parfois, une dépression qui passe au sud de nos régions, avec temporairement une petite composante est dans le vent et toujours beaucoup de pluie.

Le bref épisode chaud des 20 et 21 juillet n’est même pas lié à du beau temps, mais à du temps nuageux et venteux, avec un vent tournant du sud-est au sud-ouest.

À la fin du mois, on observe une nouvelle invasion marquée de courants maritimes d’origine polaire.

Le mois d’août se caractérise par des courants prédominants de sud-ouest pendant la première moitié, et de nord-ouest durant la deuxième moitié. Cela se remarque par ailleurs aux températures maximales de Bruxelles, d’abord comprises entre 17 et 24°C, puis comprises entre 15 et 20°C. Durant tout ce mois, pas une seule belle journée à part entière n’est attestée. Il pleut très souvent, on observe beaucoup de vent, avec même une tempête le 17.

Cela revient à dire que l’été a été réellement complètement pourri. Il ressemble très fort à l’été 1956, comme l’attestent également les séries homogénéisées de De Bilt. Les moyennes ramenées à cette station sont de 12,4°C en juin, 15,3°C en juillet et 14,5°C en août. C’est environ 2°C en dessous des normes saisonnières. Les 3 mois réunis font 14,1°C. En 1956, cette moyenne a été de 14,4°C. Quelques étés ont été encore plus froids que 1816, comme 1725 et 1805.

L’année 1816 mérite donc bien son nom d’année sans été. Toutefois les phénomènes de gel et de neige en plaine sont une légende, en Europe tout au moins; en Amérique du Nord, par contre, cela semble avéré.

Pour la petite histoire, il est amusant de souligner que c'est en juin 1816 que Mary Shelley écrivit Frankenstein, dans une ambiance glauque qui correspond exactement au climat froid, humide et sombre qui régnait en Suisse, comme dans la quasi-totalité de l'Europe occidentale cette année-là.

Une éruption volcanique majeure, comme principale cause ?

Le 10 avril 1815, dans l'île de Sumbawa le volcan indonésien, le Tambora s'est réveillé et rentre brutalement en éruption. Le bruit des explosions est entendu jusqu'à 1750 km de là soit jusqu'en Australie. Un volume de 150 à 175 km3 de pyroclastites (poussières et cendres) est émis durant 2 à 3 jours jusqu'à 600 km de distance du volcan (!) et furent projetés dans la stratosphère (20 - 40 km de hauteur) où ils sont alors transportés par les jets streams de la haute atmosphère. Pendant plusieurs jours le ciel s'obscurcit sur une superficie équivalente à la Sicile. En quelques mois les poussières et aérosols se répandirent dans l'atmosphère provoquant des modifications climatiques pendant plusieurs années. Durant ces périodes, on a signalé des couchers de soleil prolongés et brillamment colorés - oranges ou rouges sur l'horizon peints par le peintre William Turner (voir en bas de l'article).

Il s'agit d'une éruption ultraplinienne mégacolossale, VEI 7 (la seule classée sur cette échelle ces 700 dernières années). Le volcan, après cet épisode cataclysmique, a perdu 1200 mètres de hauteur, le pic de 4000 mètres à l'origine est remplacé par une caldera de 6 km de diamètre.
Cette éruption causa plus de 71.000 morts.

L'éruption du Tambora s'est produit après plusieurs autres éruptions importantes : en 1811 aux Açores, en 1812 la Soufrière de Saint Vincent (Antilles) et à l'Awu (Indonésie), en 1813 le Vésuve et en 1814 au Mayon (Philippines) ce qui a peut-être encore amplifié le dérèglement climatique.

La caldera de 6 km de diamètre : c'est tout ce qui reste du volcan Tambora,
au départ un monstre de plus de 4000 m de hauteur. (Image satellite en fausses couleurs)

 

Classement de l'intensité des éruptions volcaniques. A partir de VEI 2, l'échelle est logarythmique. (source : Wikipedia)

VEI Volume et hauteur des éjectats Type / Classification Fréquence Exemples
0 < 10.000 m³
< 100 m
Hawaaien

continu

Piton de la Fournaise
1

> 10.000 m³
< 1 km

 Strombolien

quasi continu

Stromboli
2
> 0,001 km³
< 5 km
Vulcanien 
Explosf

mensuel

Galeras (1993), Sinabung (2010)
3 > 0,01 km³
3 à 15 km
Péléan
Catastrophique

trimestriel

Lassen Peak (1915), Nabro (2011)
4 > 0,1 km³
> 10 km
 Sub Plinien
Cataclysmique

annuel à biannuel

Mont Pelée (1902), Eyjafjallajökull (2011)
5
> 1 km³
> 10 km
 Plinien
Paroxysmal

12 ans

Vesuve (79), Mont St Helens (1980)
6 > 10 km³
> 20 km
Plinien / Ultra-Plinien
Colossal

50 à 100 ans

Krakatoa (1883), Pinatubo (1991)
7 > 100 km³
> 20 km
Ultra-Plinien
Super colossal

500 à 1000 ans

Smalas (1257), Tambora (1815)
8 > 1000 km³
> 20 km
Supervolcanique
Apocalyptique

> 50.000 ans

 Yellowstone (640.000 AC), Taupo (24.500 AC)

 

eruption comparison

Une éruption dont l'intensité atteint VEI 5 ou 6 peut déjà avoir une influence notable sur le climat. A partir de VEI 7, c'est indéniable et planétaire.

Il y a cependant d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte :

* le VEI est une indication mais ce n'est pas suffisant; ainsi pour l'Europe par exemple l'éruption du St Helens semble avoir eu plus d'impact que le Pinatubo, alors que le premier était en VEI5 et le second en VEI6. La latitude a une importance : la répartition des cendres est différente pour un volcan proche des réions polaires ou proche de l'équateur. Un volcan situé sur l'hémisphère sud va aussi avoir une influence différente et plus étalée dans le temps qu'un volcan situé dans l'hémisphère Nord par exemple (cfr. St Helens vs Pinatubo pour l'Europe)

* la hauteur atteinte par les émissions de poussières du volcan

* le volume rejeté total sur toute la période d'éruption

* la quantité d'aérosols comme le dioxyde de soufre rejeté.

* le moment ou a lieu l'éruption et la circulation stratosphérique (voir aussi la QBO - quasi biennal oscillation)

L'effet sur le climat éventuel se jouera sur base de trois paramètres :

1. la quantité des cendres rejetées qui peut, comme lors de l'éruption du Tambora donner une couche qui filtre les rayons solaire et diminue la température des couches basses de l'atmosphère. Mais attention ! cette chaleur est accumulée dans les couches hautes, il y aura donc un effet compensatoire tôt ou tard.

2. la quantité des aérosols tels les composés soufrés qui vont eux réfléchir les rayons solaires, et donc là il y a un refroidissement "réel" (le El Chichon en 1982 a rejeté énormément de composés soufrés et cela a eu vraisemblablement une influence sur le climat plus important que sa catégorie (VEI 5) ne pouvait le supposer.

3. les poussières vont servir de noyaux de condensation aux nuages, cela va aussi jouer un rôle sur le climat à moyen terme.

Le phénomène a généré des couchers de soleil prolongés et brillamment colorés
- oranges ou rouges - sur l'horizon peint ici par le peintre William Turner.

Conclusions :

L'année sans été de 1816 n'est donc pas une légende, il semble qu'une anomalie thermique négative de 2 à 3°C a bel et bien eu lieu lors de l'été 1816 en Europe occidentale.

Le temps fut terne, morne et pluvieux, en plus d'être très frais : les précipitations furent aussi largement excédentaires.
Le phénomène ne s'est pas limité en Europe (occidentale) mais aussi en Amérique du Nord. Par contre, la neige parfois relatée par certaines sources, ne peut pas avoir concerné nos contrées durant ces trois mois estivaux, par contre, il semble acquis qu'elle a bien été présente en Amérique du Nord, jusqu'aux USA.

La cause principale est l'éruption volcanique majeure du Tambora en avril 1815, la plus forte éruption volcanique des temps modernes. Les quantités incroyables de poussières et d'aérosols que le volcan a dégagé a profondément perturbé le climat.
Mais ce refroidissement européen n'a été possible aussi parce que les masses d'air qui nous ont concernées ont souvent été d'origine polaire maritime. Dans d'autre régions, les masses d'air étaient plus chaudes car venant des tropiques (comme en Russie), ces régions, a contrario, n'ont pas connu ce déficit de température. Mais globalement, au niveau planétaire, les températures moyennes ont été abaissées de un, voire deux degrés durant quelques années, avant un retour à la normale.

A méditer quand le temps nous paraîtra trop maussade en période estivale : il y eu donc bien pire !

Merci à Robert Vilmos et Hubert Maldaghe pour leurs travaux préparatoires sur les forums de MeteoBelgique.

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